Wendy Carlos

The Well-Tempered Synthesizer

Ingénieure du son, artiste, homme devenu femme à la fin des années 60, pionnière de la musique électronique et de l’utilisation des synthétiseurs, accessoirement passionnée de chats et d’éclipses, Wendy Carlos est une légende. Il est probable que vous n’en ayez jamais entendu parler, mais il est à peu près certain que vous ayez déjà écouté l’une de ses nombreuses créations. Ne serait-ce que si vous avez vu Orange mécanique, The Shining, ou encore Tron. C’est elle qui a composé la bande originale de ces films.

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UNE PIONNIERE

Faire mieux que les autres

En 1978, Wendy Carlos a vendu près de 2 millions d'albums en dix ans, et reste une figure de l'expérimentation électronique et de l'apport de cette notion dans la musique pop. C'est en partie grâce à elle que les synthétiseurs jouent des coudes avec les guitares dans le cœur des musiciens durant les années 1970 et qu'ils deviendront omniprésents la décennie suivante. Pourtant, en plus de sa décision de ne plus donner d'interviews, sa discographie s'est tue elle aussi, et ce, depuis 1975. Pour en comprendre les raisons, il faut remonter à ses débuts –presque à sa naissance, en fait.

Lorsqu'elle naît le 14 novembre 1939 dans une famille d'ouvriers mélomanes de Rhode Island, Wendy Carlos ne s'appelle pas Wendy, mais Walter. Attirée dès l'enfance par la musique (le piano en particulier), puis à l'adolescence par les ordinateurs, elle combine ses deux passions, ou plutôt prédispositions, en intégrant les cursus musique et physique à l'université de Brown, puis en obtenant un master en musique à l'université Columbia de New York. Un parcours scolaire et universitaire sans embûches, qui l'aura vue composer un trio pour clarinette, accordéon et piano à l'âge de 9 ans, construire son premier ordinateur à 15, son premier studio à 17, mais qui cache pourtant un mal-être grandissant.

La rencontre avec Moog

bach et wendy

On pourrait qualifier son parcours de non-conventionnel. Ce serait un euphémisme. Née Walter Carlos en 1979, elle développe un intérêt précoce pour la physique et la musique. Elle construit dans sa jeunesse un ordinateur et gagne même un prix pour cela. Puis elle décide de se tourner définitivement vers la musique.

Diplômée d’un Master of Arts de l’université de Columbia en composition musicale, elle étudie dans le premier centre dédié à la musique électronique des Etats-Unis avec ses fondateurs Otto Luening et Vladimir Ussachevsky. C’est là que tout démarre. Elle se lie d’amitié avec Robert Moog, pionnier du synthétiseur, devenant à l’époque l’un de ses premiers clients. En lui apportant ses compétences en informatique, elle contribue à l’évolution de l’outil créateur de sons.

`De cette collaboration naît l’album Switched-on-Bach en 1968, réalisé avec Rachel Elkind – à qui Wendy Carlos rend d’ailleurs un vibrant hommage sur son site. Il est constitué de morceaux du compositeur Johann Sebastian Bach joués au synthétiseur Moog. Le grand public découvre les sonorités électroniques. C’est un phénomène. Récompensé de trois Grammy Awards, le disque atteint le million de copies vendues en 1974. Il devient en 1986 le deuxième album de musique classique de l’histoire à être disque de platine. Glenn Gould le qualifie de « disque de la décennie ». Giorgio Moroder estime que c’est cette oeuvre qui l’a amené au synthétiseur.

La libération de l'individu

jcarpenter

Toujours en 1968, Carlos décide de changer de genre et démarre un traitement hormonal. Elle vit recluse quelques années avant de rendre officielle sa transformation. Elle le fera en 1979, dans une interview donnée à Playboy, symbole pour elle de la libération de l’individu. « Le public, dira-t-elle suite à ce coming-out, s’est avéré être étonnamment tolérant, ou plutôt indifférent… Je n’avais en fait aucun besoin de me cacher. J’ai finalement gâché plusieurs années de ma vie. »

Cette décision n’empêche bien évidemment pas l’artiste de continuer ses explorations. Elle est ainsi la première à utiliser le vocodeur pour le chant ou pour imiter le son des cordes dans ses compositions pour la bande originale d’Orange Mécanique, de Stanley Kubrick. Son travail sur Sonic Seasonings, en 1972, préfigure, dix ans avant son développement, ce que sera la musique New Age. De 1992 à 1995, elle développe en collaboration avec Larry Fast une technique de masterisation et de restitution du son révolutionnaire. Son nom ? le Digi-Surround Stereo sound.

Wendy Carlos fait partie de ces pionnières qui ont véritablement exploré les voies de la musique électronique, au même titre qu’une Suzanne Ciani et son travail sur les ultra-sons et les infra-basses, qu’une Eliane Radigue créatrice ascétique qui a collaboré avec Pierre Henry, ou encore Laurie Spiegel, connue pour son travail au sein des laboratoires Bell et créatrice, entre autres, du logiciel de composition algorithmique Music Mouse.

La collaboration avec Stanley Kubrick

C'est après avoir découvert les deux premiers albums de Wendy Carlos que Stanley Kubrick décide de la solliciter pour la bande originale de son film Orange Mécanique. Il lui demande de faire des reprises, notamment de Beethoven. Le compositeur est au cœur du film, comme l'annonce l'accroche provocatrice qui lui est associée : « L’histoire d’un jeune homme qui s’intéresse principalement au viol, à l’ultra violence et à Beethoven ».

Plus que d'illustrer les scènes du film, la musique de Wendy Carlos donne une dimension supplémentaire : « Il y a une sorte de prise de distance à travers l'utilisation de la musique, avec la violence qui est particulièrement pertinente avec ce choix de synthétiseur », explique Thierry Jousse, producteur radio de Ciné tempo, critique de cinéma et cinéaste. D'autant plus, nous précise-t-il, que les sonorités du synthétiseur et la musique de Wendy Carlos s'accordent parfaitement avec l'esthétique visuelle du film.

Le film provoque scandale et polémique mais rencontre un succès public et critique. Stanley Kubrick est ravi de la collaboration : «Walter Carlos a accompli quelque chose d’unique dans le domaine de la ' réalisation électronique de la musique ' (...) Sa version du quatrième mouvement de Beethoven vaut, à mon sens, celle d’un orchestre entier, ce qui n’est pas peu dire » (dans la revue Sight and sound, 1972).

Kubrick

Kubrick fait de nouveau appel à la compositrice pour Shining, en 1980 mais « c'est un rendez-vous manqué entre deux fortes personnalités » d'après Thierry Jousse. En effet, sur l'album entier composé pour le film, le réalisateur ne retient que deux morceaux. Néanmoins, le thème principal, que l'on découvre au tout début du film lors de plans aériens sur les Rocheuses est particulièrement efficace : Wendy Carlos et Rachel Elkind (productrice des premiers albums de Wendy Carlos, elle a co-composé la musique de Shining) s'inspirent du Dies irae du Requiem de Mozart et de La Symphonie fantastique de Berlioz pour créer un décalage entre image et film. Ainsi, dès les premières no

Aujourd'hui, on pourrait dire que tout le monde est l'héritier de Wendy Carlos parce que au fond la musique électronique au cinéma s'est très largement diffusée, c'est même peut-être le son qui est le plus dominant dans la musique de film aujourd'hui.

Shining
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